mardi 24 mai 2016

De Fortaleza à Cayenne – Iles du Salut


Nous sommes mercredi 4 mai et la fin du séjour d’Alfred au Brésil est maintenant toute proche ; arrivé le 23 novembre à Fernando de Noronha, notre bon bateau y aura passé cinq mois et vingt-sept de nos famille et amis auront pu découvrir avec nous à son bord quelques facettes de ce beau et grand pays.
L'équipage du dernier transit de Fortaleza à Trinidad: Dominique, Catherine, Jean-Patrick, Jean-Louis et Emmanuel.
Départ de Fortaleza: bonne brise et ciel dégagé.

Nous allons demain entamer notre remontée vers le Nord jusqu’à Trinidad, où Alfred restera pendant la saison des cyclones, jusqu’à ce que nous le reprenions dans quelques mois pour naviguer dans les Antilles avant notre retour à la Trinité dans un an.

Jean-Patrick
Emmanuel
Deux nouveaux équipiers nous ont rejoints pour ce convoyage de 1800 milles de Fortaleza à Trinidad, avec escales possibles en Guyane Française et à Tobago ; Jean-Patrick Pluvinet, avec qui Dominique avait fait une transat à l’automne 2014 et Emmanuel Lizée qui a déjà embarqué en mars pour une croisière à partir de Salvador ; nous sommes donc cinq avec Jean-Louis Porchier qui est à bord depuis le départ de Salvador.

Les équipiers: Jean-Louis, Emmanuel, Dominique et Jean-Patrick
Catherine en figure de proue.
Les formalités de départ définitif (police fédérale, douanes, capitainerie) sont un  peu longues et nous retardons notre départ au  Jeudi 5 mai au matin, après avoir assisté à la messe de l’Ascension à l’église Sainte Edwige proche de la marina. La veille au soir, nous passons une dernière soirée brésilienne dans une churascaria pour un superbe buffet de viandes comme seuls savent le faire les Brésiliens et les Argentins.

Diner is ready !!


En appareillant de Fortaleza vers la Guyane, notre première intention est de couper ce transit de plus de 1000 milles en faisant un arrêt entre Sao Luis et Belém, à Lençois dans la région du Maranhao, l’un des plus beaux mouillages forains du Brésil, dit-on, blotti dans la mangrove dans un paysage d’immenses dunes, dans une zone non hydrographiée. Malheureusement, après trois jours de route de vent faible, nous réalisons que le temps nous est compté et nous renonçons à cette dernière escale brésilienne pour faire route directe sur Cayenne.

Passage de la ligne: https://youtu.be/KHMoKTVhjlg

Baptême du néophyte Emmanuel
Neptune, le néophyte et Amphitrite
La route vers Cayenne est marquée par un événement maritime majeur : le passage de la ligne et le baptême d’un néophyte : Emmanuel. La cour du Royaume des Mers et des Océans , présidée par Neptune et Amphitrite, siège selon le rite ancestral, et, après un jugement sans concession mais juste, le néophyte est baptisé le 8 mai à 13 heures, par longitude 44°06’W.

Réparation de le commande du moteur
En route vers Cayenne à fond les manettes : 10,6 noeuds au compteur !!
Petit pépin dans l’après-midi du même jour, en manœuvrant la commande de gaz du moteur pour recharger les batteries, ce que nous faisons deux heures par jour, le câble de commande s’enraille. Une réparation de fortune peut être faite mais nous devons changer le câble dès la prochaine escale à Cayenne.

Arrivée à Cayenne: l'Îlet La Mère et Les Mamelles

Couleur de l'eau aux approches de la Guyane
Aux approches de la Guyane, l’eau de mer change brusquement de couleur, passant par toutes les nuances possibles du chocolat au lait au chocolat noir. Nous nous présentons devant le chenal de Cayenne le 12 mai vers 9 heures et remontons le long chenal de plus de 10 milles entre l’îlet La Mère, flanqué des deux îlots Les Mamelles, et l’îlet Le Père jusqu’au port de Dégrad des Cannes situé sur le fleuve Mahury, à quelques kilomètres à l’Est de Cayenne.

La "marina" de Dégrad des Cannes, un assortiment de bateaux du voyages ayant pris racine dans la mangrove
Vue du fleuve Mahury à Dégrad des Cannes
L’endroit est glauque : la marina est devenue le refuge de vagabonds des mers dont les bateaux, souvent en triste état, sont accrochés au ponton comme une bernique à son rocher; nous y faisons néanmoins de belles rencontres, en particulier avec trois jeunes cousins du même âge, Samuel, Pierre et Elwin, partis ensemble faire le tour du monde sur leur ketch, Nagawika http:/lestroiscolibris.wix.com/les-3-colibris . Le lieu est isolé dans une petite zone industrielle sans liaison avec la ville. Nous louons immédiatement une voiture afin de faire rapidement l’indispensable, la réparation de la commande moteur et les courses de vivres frais, pour décamper au plus vite.

Place des Palmistes à Cayenne
Vues des rues de Cayenne

Le marché
Une atmosphère tranquille figée dans le temps
Nous profitons tout de même de ce court passage pour une visite de Cayenne et une soirée sympa et paisible dans cette petite ville de la France des Tropiques où la vie coule, lente et tranquille.

Un arrêt à l'Îlet La Mère avant de partir pour les îles du Salut


Polissoir amérindien
Les "fromagers siamois"
Les singes saïmiri, laissés par l'Institut Pasteur, occupent l'îlet La Mère
Appareillage de Cayenne le vendredi 13 mai après le déjeuner, cap vers les Îles du Salut à 40 milles à l’Ouest. Après une courte halte à l’îlet La Mère pour visiter dans l’après-midi les vestiges d’un ancien bagne habité par des singes, puis après 35 milles sous un quartier de lune, nous arrivons aux îles du Salut vers minuit avec comme comité d’accueil un grain violent qui nous met immédiatement dans l’ambiance de ce lieu de souffrance.

Sur la table, le Bolo de rolo offert par Dulce à notre départ de Recife
En route vers les Îles du Salut

Vue de la Maison de Dreyfus à l'Île du Diable
L'Île du Diable vue de l'Île Royale
Le petit archipel, situé à 10 milles au large de Kourou, est constitué de trois îles, l’île Royale où se trouvait la direction de l’administration pénitentiaire et où étaient détenus les condamnés aux travaux forcés, l’île Saint Joseph où étaient enfermés dans l’isolement et le silence les condamnés aux peines lourdes qui ne travaillaient pas et ne quittaient pas leurs cellules, et l’île du Diable pour les prisonniers politiques et spéciaux, où ont été détenus Dreyfus et Seznec. Les îles sont toutes proches, séparées par des canaux de 200 mètres où les courants et le ressac sont très violents, et seules les deux premières sont accessibles.

L'équipage sur l'île Royale. Au fond, l'Île du Diable
La villa du Directeur de l'Administration Pénitentiaire, sur l'Île Royale.


L'hôpital
Quelques habitants de l'ïle Royale : Agoutis....

.... iguanes ....
 

... colibris sur ixoras ...
... singes Capucins ....
Malgré la beauté des lieux, la riche végétation et la vie qui y règne, singes, oiseaux, agoutis en très grand nombre, iguanes, nous sommes saisis par les vestiges de ce lieu de désespoir où les conditions de vie devaient être horribles, quels que soient les crimes que ces hommes avaient commis. Nous sommes particulièrement effrayés par la perfection des installations de l’île Saint Joseph, construites en 1898, où la technique de l’époque avait permis de concevoir une maison de détention « industrielle » que l’on ne peut pas regarder sans penser aux horreurs qui allaient marquer le vingtième siècle dans le perfectionnisme carcéral… Aujourd’hui, les îles du Salut, gérées par le CNES, sont devenues un lieu de détente du week-end pour les familles et légionnaires de Cayenne et de Kourou…

Le travail impressionnant des forçats sur l'Île Royale

Le "mitard" sur l'Île Royale
L'Île Saint Joseph, surnommée île du silence
Au-dessus de nos têtes, les chemins de rondes d'où les prisonniers sont surveillés jours et nuits, au-dessus des cellules dont le plafond est une grille.
Le couloir des cellules sur l'Île Saint Joseph : glaçant !
Nous repartons le soir du samedi 14 mai, saisis par ce que nous avons vu, pour l’ultime étape du voyage d’Alfred : 600 milles vers Tobago et Trinidad.

Vues du cimetière de l'Île Saint Joseph
 

En arrière-plan, l'Île du Diable à droite et l'Île Royale à gauche.

Les Jangadas de Fortaleza




Cela commence par une hallucination…. Nous naviguons au large de la côte du Nordeste, entre Natal et Fortaleza, à plus de 30 milles de la côte afin d’éviter les petits pêcheurs. Tout à coup surgit devant l’étrave d’Alfred quelque chose d’incroyable qui apparait par intermittence entre deux vagues : là, devant nous, un homme est assis sur un tabouret posé sur l’eau !!!




En fait, nous n’avons pas vécu cette vision insolite, mais cela aurait pu être le cas et nous avons à plusieurs reprises vu ces pêcheurs qui partent de jours comme de nuit, jusqu’à la chute du plateau continental à plus de 30 milles de la côte, mouiller sur les fonds de 40 mètres et amener les voiles et déposer leur mat, pour pêcher et parfois dormir sur leurs extraordinaires bateaux pontés à fond plat, les jangadas.



Lors de l’escale à Fortaleza, à l’occasion de plusieurs balades aux environs, nous avons longuement admiré ces incroyables bateaux plats de 5-6 mètres de long mais dont les plus grands font huit mètres sur trois de large, avec un franc-bord ne dépassant pas 20 centimètres.





Sur le pont de la jangada, deux équipements très simples faits de bois et de brelages de cordages : sur l’avant, une sorte de chèvre destinée à recevoir le mat ; sur l’arrière, le banc du barreur sur lequel s’assied le pêcheur.




La voile de très grande surface permet d’atteindre des vitesses très honorables de l’ordre de 10 nœuds. Elle est tendue entre un mat emplanté sur le pont et une sorte de livarde horizontale donnant une forme générale semblable à celle d’une planche à voile. Le mat, de robuste diamètre au niveau de l’emplanture, est constitué de 7 à 8 éléments de plus en plus fins surliées les uns aux autres jusqu’au dernier, très fin en haut du mat, donnant à la voile une élégante courbure très caractéristique. Le système d’emplanture du mat permet, une fois arrivé sur les lieux de pêche, de dégréer complètement le bateau et de poser gréement et voile à plat pont pendant la pêche.





Le bateau dispose d’une longue dérive, positionnée au tiers avant, très longue jusqu’à 3 mètres et inclinée à 45° sur l’avant, ainsi que d’un safran de grande dimension et assez profond, permettant à la jangada une allure au plus près  performante, très surprenante pour un bateau de cette forme.









 


 La coque très simple est, pour les plus petites jangadas remplie de polystyrène assurant une grande flottabilité, tandis que les plus grandes disposent d’un petit panneau au dessus d’une petite cale à poisson très peu profonde où le pêcheur peut dormir quand elle est vide.






Les ancres des jangadas qui leur servent à mouiller au large sur les lieux de pêche sont également remarquables : elles peuvent consister simplement en un gros bloc de pierre très lourd (50kg ?) et parallélépipédique autour duquel est taillée une échancrure pour la ligne du mouillage, ou un grappin en bois à quatre pattes dans lequel est enfermé un lourd bloc de pierre.





Les villages de pêcheurs de jangadas se répartissent le long de la côte du Ceara, à l’E et à l’W de Fortaleza. Dans chacun de ces villages, quinze à vingt jangadas sont armées et vont tous les jours à la pêche l’on assiste le soir au très beau spectacle de ces hommes qui s’entraident pour remonter l’ensemble de ces lourds bateaux jusqu’au haut de la plage, avec un savoir faire impressionnant, à l’aide de grands rouleaux de troncs d’arbres, les voiles toujours établies pour accompagner leur effort.