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L'équipage d'Alfred: Marc et Jacques |
Vendredi 3 novembre, de retour de la Toussaint à la
Trinité, je retrouve mon vieil Alfred, malade, dans le port de Porto. La Marina
du Douro est un mauvais abri ; proche de l’estuaire, le ressac y est fort
et les aussières, pourtant doublées avant notre départ 15 jours plus tôt, ont
bien souffert et certaines ont dû être remplacées (et facturées) par les
services de la marina. Le moteur d’Alfred est en vrac ; les mécaniciens de
Distrimotor, agent Yanmar de Lexoes, le port industriel de Porto, sont intervenus pendant mon
absence : la panne est sérieuse et il faut remplacer les 4 pistons et
segments ainsi que les 8 soupapes … glups !...
Le moteur est démonté, les pièces ont été commandées au Danemark et devraient
arriver lundi. Bien que mon mécanicien de Locmariaquer soit étonné par ce
diagnostic, j’ai confiance en Hugo et Rui, de vrais pros qui ont l’habitude
d’intervenir sur les gros moteurs des bateaux de pêche de Lexoes : pour
Joel, leur chef, le moteur d’Alfred est un jouet, ‘’it’s like a toy’’ (sic).
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La Marina du Douro à Afurada |
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Le moteur d'Alfred en vrac |
La perspective d’une réparation rapide laisse espérer
que l’on puisse appareiller comme prévu le vendredi 10, dans une semaine, vers Essaouira puis Arrecife à Lanzarote.
Malheureusement, les pièces de rechange attendues lundi n’arriveront que jeudi.
Je préviens trop tard mes équipiers, en particulier mes chers neveux, Héloïse
et Foucauld qui arrivent à bord respectivement le 6 et le 9. Leurs contraintes
de travail ne leur permettent pas de retarder le départ, ils ne pourront pas nous
accompagner pour la prochaine étape et en seront quittes pour une escapade à
Porto pour rien. Adorables, cette déconvenue ne leur fait pas perdre leurs sourires
mais je suis vraiment confus de les avoir entraînés dans ce mauvais plan.
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Remontage du moteur par Riu |
Une trop longue escale donc à Porto, avec un temps
affreux, secoué dans une rade inconfortable, moteur en vrac et bateau dans un
désordre honteux et trempé : Porto… Portugal… le Purgatoire ! J’en
profite néanmoins pour faire quelques bricolages : étancher le puits à
chaîne qui nous avait causé quelques déboires lors de la précédente étape et en
agrandir les anguillers ; étancher les hublots des cabines arrière (gros
travail), améliorer l’arrimage du dinghy sous le portique arrière. Samedi 11
novembre enfin, après réception des pièces de rechange et rectification de la
culasse, les mécaniciens viennent remonter le moteur à bord. Les essais de bon
fonctionnement sont faits le lundi 13. Le soir même, j’ai la surprise de voir
arriver mon fils aîné Emmanuel, de passage à Porto pour rencontrer des
fournisseurs de son entreprise Faurecia ; nous allons dîner sur les bords
du Douro, avant qu’il me raccompagne à bord : la vie est belle !
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Une soirée inattendue père-fils devant le pont Eiffel de Porto... |
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.... en dégustant l'excellent vin du Douro |
L’approvisionnement est fait chez Continente le mardi 14 et mes équipiers arrivent le soir même prêts
à appareiller enfin avec un moteur remis à neuf ! Nous sommes donc trois
pour cette nouvelle étape. Jacques Albisetti et Marc Bocquet sont des amis de
la Trinité que nous connaissons depuis peu, tous deux jeunes retraités mais
voileux très sportifs : ils partagent en copropriété un ‘Gerys 4.7’, bateau un peu fou, sorte de
470 à foils qui vole à plus de 20 nœuds sur lequel ils naviguent casqués et en
combinaison étanche. Sur Alfred, ce ne sera peut-être pas la même glisse !
Après avoir dîné agréablement la veille d’une bacalhau dans un bistrot des bords du Douro, nous appareillons
mercredi 15 novembre vers 10 heures, cap au sud, pas fâchés de mettre fin à
cette escale trop longue. La météo n’est pas géniale : 48 heures de vent
du sud puis de pétole avant d’avoir enfin des vents portants : mais où
sont passés les « alizés portugais » ?
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Le bateau fou de Jacques et Marc... |
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.... et les deux fous dans le passage du rail au large du Cap Saint Vincent |
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Lever de soleil au large de l'Algarve |
La première journée de navigation puis la nuit
suivante, au louvoyage entre Porto et Lisbonne, mettent à l’épreuve les
estomacs des nouveaux équipiers. Peu de temps après le départ, le pilote
principal qui actionne directement les safrans se met en défaut et nous devons
passer sur le pilote de secondaire, le ‘’petit pilote’’ accouplé sur le barre à
roue ; si ce dernier est efficace par temps modéré et devrait faire l’affaire
momentanément, il faudra réparer le pilote principal au plus tôt, si possible à
Lanzarote. Nous arrivons le jeudi 16 vers midi au niveau des Îles Berlingues et décidons de faire un
arrêt technique au port de Peniche en
face de ces îles afin de régler un problème de communication Iridium par lequel
nous captons nos fichiers météo : il nous faut établir une communication
internet avec notre ’provider’ Naya à
Monaco, pour résoudre ce problème. Peniche
est le lieu du pénitencier politique de l’époque de la dictature Salazar,
nous espérons ne pas y rester trop longtemps…. L’affaire est réglée en deux
heures et nous ré-appareillons vers 18 heures, cap au sud dans la pétole, sous
grand-voile et moteur.
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Arrivée dans la lagune de Faro |
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La marina d'Olhão |
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P'tit déj' en mer |
Vendredi 14 novembre vers 2 heures du matin, nous
passons au large du Cabo da Roca,
fier promontoire proche de Sintra qui
surplombe la mer de plus de 200 m et point le plus occidental de l’Europe
continentale (9°30’W). Compte tenu du délai qui nous reste après les retards
successifs, nous renonçons à l’escale à Essaouira
et faisons route directe vers Lanzarote.
Vers 11 heures, alors que nous avons dépassé largement Lisbonne et que nous
sommes au niveau de Setubal, nous
constatons une fumée bleue à l’échappement du moteur : après la réparation
majeure qui vient d’être faite, le moteur fait de nouveau de l’huile ! La
scoumoune continue !! Après avoir pris contact par Iridium avec Joël de Distrimotor, notre mécanicien de Porto,
pour une nouvelle intervention sur le moteur, nous faisons route vers Olhão, proche de Faro en Algarve où ils ont un atelier de leur
réseau. C’est un nouveau détournement de notre route de 130 Milles, presque 2
jours en tenant compte du temps d’intervention, ce qui commence à rendre
problématique une arrivée aux Canaries à
temps pour la relève d’équipage le 24 novembre !?!?
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Après une réparation majeure à Porto et une 2ème intervention à Olhão, le moteur se remet à fumer !!! |
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Les problèmes du moteur laissent le skipper pensif.... mais la vie est belle! |
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Jacques |
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Marc |
Après avoir contourné dans la nuit les caps Saint Vincent et de Sagrès, hauts lieux du temps des découvertes portugaises d’Henri le
Navigateur, nous pénétrons en début d’après-midi dans la lagune de Faro, site magnifique qui abrite de nombreuses
iles de sable pleines d’oiseaux et qui rappelle un peu Venise. A 15 heures
comme prévu, nous sommes accostés à Olhão
et voyons bientôt arriver Walter, le mécanicien dépêché par Joël. L’examen
du problème de notre moteur et la concertation avec Distrimotor à Porto se
terminent par un essai en mer à plein pot, 3000 tours/min pendant une heure, au
bout duquel, effectivement, le moteur ne fume plus… Walter explique que cette
situation est normale : les pistons et segments neufs doivent trouver
leurs places dans les vieux cylindres et, après une période de rodage de
quelques semaines, tout rentrera dans l’ordre… Comme effectivement le moteur ne
fume plus nous sommes enclins à le croire… que faire d’autre ? Nous allons
consoler notre doute chez Antoine Ménard, un ami grand navigateur installé au
Portugal qui nous invite pour le dîner. Le bateau d’Antoine, « Iti », et Alfred se sont suivis entre 2012 et 2017
lors de nos navigations respectives à Cuba et au Brésil. Nous passons une
magnifique soirée dans la Quinta
d’Antoine, proche de Faro, qui nous fait du bien.
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48 heures de vent arrière par force 5-6, Alfred fond vers les Canaries |
Nouveau départ d’Olhão
dimanche matin 19 novembre pour parcourir les 565 Milles jusqu’à Lanzarote : nous n’avons pas de
temps à perdre pour y être avant le 24 ! Après une première belle journée
au grand largue sous ‘Code Ø’ par brise modérée, le vent tombe en fin
d’après-midi pour une nouvelle nuit au moteur sous grand-voile seule. Mauvaise
surprise le lendemain matin ! Le moteur fume derechef… c’est décidément la
super-scoumoune !! Nous reprendrons à l’arrivée notre conversation
technique avec Distrimotor mais un
gros doute s’installe sur l’état de notre moteur : faudra-t-il nous
résoudre à poursuivre ce long voyage avec un moteur qui fume et brûle 1 litre
d’huile toutes les 10 heures ? Nous poursuivons tristement notre route au
moteur par vent faible en surveillant régulièrement le niveau d’huile jusqu’à
ce qu’enfin une belle brise adonne et nous propulse vers les Canaries :
c’est la délivrance ! Les dernières 48 heures se déroulent magnifiquement
plein vent-arrière, grand-voile et génois tangonné, par vent de force 4 à 5, à
7-8 nœuds et quelques pointes à 11 nœuds, éclairés la nuit par la Lune et
réchauffés le jour par le Soleil : le tropique du Cancer n’est plus très
loin !
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Marc déploie des talents de cuisinier insoupçonnés, il s'en étonne lui-même |
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Installation de l'antenne Iridium pour prendre la météo.... |
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.... qui est bonne: bonne brise portante jusqu'à l'arrivée |
Nous arrivons au port d’Arrecife, principale ville de Lanzarote
le jeudi 23 novembre à 5 heures du matin après une nuit ‘’à fond les
manettes’’ éclairées par une Lune qui nous accompagne presque jusqu’au bout et
une température qui devient douce ; depuis Porto, nous avons parcouru 940
milles. Pendant que je reste à bord pour tenter de régler les divers problèmes
techniques, Jacques et Marc louent des motos pour faire une petite visite de
l’île. Je trouve assez vite au chantier naval proche de la marina d’Arrecife
des mécaniciens susceptibles d’intervenir sur le moteur, ainsi qu’un
électronicien marine italien génial, Marco, qui me rassure très vite sur la
possibilité de remettre en route le pilote principal. Le diagnostic de l’état
du moteur est moins sûr ; le mécanicien, Adrian, après échange avec Joël
le mécanicien de Porto, nous confirme l’idée que le rodage doit être poursuivi,
si possible à haut régime (3000 tr/min) et que nous devons accepter un moteur
qui fume et fait de l’huile pendant deux ou trois semaine… notre mécanicien
Eddie de Locmariaquer, consulté, est dubitatif… qui a raison ? nous
verrons à l’arrivée à Dakar…
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Jacques et Marc partent en vadrouille |
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La petit port de pêche d'Arrecife |
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Les falaises de la côte nord de Lanzarote; au loin, l'île de La Graciosa |
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Vignes de Lanzarote |
En attendant, envisageons l’avenir immédiat ;
Jacques et Marc repartent le vendredi 24 novembre vers Nantes par l’avion qui
emmène sur Alfred ma chère Catherine et Thierry Chazalon. Dès qu’Emmanuel
Lizée, notre quatrième équipier, nous aura rejoints samedi matin, nous
appareillerons pour Dakar et le Siné Saloum ; la météo est bonne,
1000 milles au programme avec bonne brise, passage du Tropique et grand soleil !
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Marco, génial électronicien marine, répare le pilote principal |
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Jacques et Marc me quittent et rentrent à la Trinité sur Mer |