lundi 17 juin 2024

Heureux qui comme Ulysse… des Açores à la Trinité

 

L'équipage au Peter's Café: Dominique, Philippine, Edouard, Guillaume et Franck

C’est une longue pause à Horta. Nous y sommes depuis le 20 mai après notre traversée rapide depuis les Bermudes, Guillaume et Philippe sont rentrés en France le 27 et Alfred attend au ponton l’arrivée de nos nouveaux équipiers pour retrouver sa chère Bretagne. Pendant cette attente, nous voyons s’installer lourdement un anticyclone obèse à l’Ouest de l’Irlande ; s’il ne bouge pas de là, cela nous promet des vents contraires sur les 1200 milles de la route du retour vers la Trinité… wait and see…

Horta

Pico vu depuis Faial

Ponta do Castelo Branco à Faial

Nous commençons par accueillir à bord Philippine et Edouard le mercredi 29 qui viennent de faire une escapade à Pico où nous les avions croisés il y a quelques jours. Le jour de leur mariage il y a un an, nous avions promis à nos neveux Edouard et Philippine de Maussion cette traversée sur Alfred qu’ils découvrent ; ils auront le temps de visiter Faial et de m’aider à faire l’approvisionnement avant l’arrivée des autres membres d’équipage ; ces derniers, Guillaume et Franck, arrivent le 31 et auront aussi le temps d’avoir un aperçu de l’île en voiture avant l’appareillage. Guillaume Thomas, notre gendre, connaît bien Alfred pour l’avoir utilisé souvent lors de croisières en famille en Bretagne, il nous avait également rejoints avec Marie à Antigua et Barbuda en 2017 ; Franck Gaubert, un ami de Guillaume, connaît Alfred pour y avoir à deux reprises traversé le Golfe de Gascogne de La Trinité à Lisbonne et inversement.

La Caldeira de Faial: 2km de diamètre, 500m de profondeur

Repos dans un square d'Horta

Guillaume et Franck à la Ponta dos Capelinhos

Un étale bien portugais de bacalhau

Les deux derniers jours passés à Faial sont consacrés aux ultimes préparatifs d’Alfred avant le grand retour vers la Bretagne, la batterie du moteur qui montrait quelques faiblesses depuis les Bermudes est changée, quelques dernières courses de fruits et légumes frais au marché municipal qui se montre étonnamment pauvre, mais surtout, le rafraîchissement et la mise à jour de la fresque d’Alfred, bien préservée depuis notre dernier passage à Horta et située sur le môle de la Capitainerie. Entre deux averses, Philippine et Edouard s’attèlent à cette tâche délicate mais si importante ; c’est un succès et désormais notre fier Alfred laisse la signature de ses passages successifs aux Açores : mai 2013, mai 2017, avril 2023, mai 2024 : ils sont fiers du résultat et ils ont raison !

Philippine et Edouard sont fiers de leur œuvre, ils ont raison!

La fresque d'Alfred  à Horta

Appareillage de Horta le dimanche 2 juin pour parcourir les 70 milles jusqu’à l’île de Terceira à 70 milles. Le temps est affreux, pas beaucoup de vent, dans le nez la plupart du temps, mer un peu formée et, par-dessus le marché, une forte pluie qui tombe verticalement à grosses gouttes : le baptême est un peu sévère pour le nouvel équipage. Au bout de cette journée un peu galère, nous arrivons enfin peu après 20 heures à Angra do Heroismo ; Franck, particulièrement épuisé et découragé par un intense mal de mer, nous annonce qu’il n’ira pas plus loin ; il nous quitte le lendemain pour rentrer à Nantes.

Apparition de Sainte Madeleine dans les Ilheus da Madalena

Philippine et Edouard

Guillaume

Angra do Heroismo, capitale de Terceira certes, mais c’est peu dire de cette magnifique petite ville inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui fut naguère capitale des Açores avant d’être détrônée par Ponta Delgada ; elle fut surtout la capitale du Portugal entre 1828 et 1834 pendant la guerre de succession fratricide entre Pedro et Miguel, les fils de Jean VI. C’est une courte mais bienvenue dernière escale et nos équipiers se remettent de la navigation un peu éprouvante de la veille en se baladant dans ses rues charmantes, ses jolies places et jardins bordés d’édifices parfois sublimes et ses points de vue superbes sur les hauteurs, avant de prendre un dernier bain de mer sur la plage proche de la marina et d’appareiller enfin vers la Bretagne le lundi 3 juin vers 18 heures.

Le port d'Angra do Heroismo



Relation de la traversée Açores-Bretagne par les messages quotidiens envoyés à midi, heure du bord, à Emmanuel qui nous assure, comme toujours, un routing impeccable.

Mardi 4 juin : « Distance La Trinité 1102 milles. Nous avons quitté Terceira hier à 18 heures et depuis nous avons parcouru 97 milles à voile et moteur. La situation météo n'est pas géniale ; l'anticyclone de la Mer du Nord s'est installé au Sud de l'Islande, avec une longue dorsale vers la Bretagne, formant avec l'anticyclone des Açores une barrière qui empêche les dépressions de passer. Du coup, nous avons du vent établi de NE (pile dans le nez) et nous devons nous déplacer de 400 milles au NNE avant d'espérer trouver une brise qui nous ramène vers la Bretagne. Au programme donc, au moins 3 jours de moteur au NNE jusqu'à la latitude de Brest, puis route directe vers la Trinité. »

Passager clandestin

Mercredi 5 juin : « Distance La Trinité 1069 milles - dist.24h=116 milles. La situation météo n'est pas géniale, nous sommes contraints de faire du Nord pendant pas mal de temps en espérant trouver des vents moins contraires, ce qui rallonge pas mal la route à faire (1400M au lieu de 1200M) et nous empêche pour le moment de progresser sur la route directe. Heureusement, nous avons du vent (actuellement nous progressons à 5-6 nds au Nord) le bateau est bien gité mais tout va bien. Les équipiers sont super et font bien marcher Alfred, le confort à bord n'est pas top mais le moral au top ! »

Déjeuner sur la terrasse

Dîner dans le carré

Jeudi 6 juin : « Distance la Trinité 1018 milles - dist.24h=120 milles. Nous sommes toujours en route au nord, à 80° de la route directe, donc notre rapprochement du but est assez lent pour le moment : cela va durer ainsi pendant un jour ou deux, le temps de monter encore en latitude, jusqu'au moment où nous sortirons enfin du fort flux de NE qui nous empêche de nous rapprocher de la Trinité... nous mangeons notre pain noir.... Le bateau marche toutefois à bonne allure, 5-6 nœuds ; cette nuit, le vent refusant, nous avons tiré un long bord vers l'Est et sommes revenus ce matin au Nord avec l'adonnante du matin ; cela devrait durer ainsi... mais nous n'avons pas de temps à perdre. Heureusement, nous sommes bien consolés dans ce long temps d'attente, bien compensé par les bons soins de Philippine qui nous concocte des repas excellents, tandis que Édouard, partage des tâches des jeunes ménages modernes, fait avec grand soin et conviction la vaisselle. Le confort à bord est spartiate, secoué mais pas humide, et permet à tous de longues sessions de lectures et de bonnes siestes. »

Pétole...

Vendredi 7 juin : « Distance la Trinité 981 milles - dist.24h=121 milles. Toujours en route au nord avec un vent qui évolue peu en direction mais commence à mollir... nous avançons encore néanmoins assez bien mais passerons probablement au moteur cet après-midi pour vraisemblablement 3 jours jusqu'au moment où nous toucherons (enfin !) le vent portant que nous attendons depuis le début ; actuellement, nous sommes toujours pratiquement sur le méridien de Terceira, notre point de départ.... Le temps commence à se refroidir un peu, Alfred retrouve le climat tempéré après 7 mois de chaleur et nous trouvons cela bien agréable. Edouard est un homme persévérant, il met les lignes à l'eau avec constance et application tous les matins... l'espoir fait vivre ! L'approvisionnement fait à Horta commence à s'épuiser un peu, je n'ai décidément pas le même coup d'œil que ma chère Catherine sur la question. Ne touchant pas beaucoup au réglage des voiles, la lecture reste l'activité principale des équipiers, un vrai régal, en dehors des quarts auxquels chacun est maintenant bien habitué. »


Samedi 8 juin : « Distance La Trinité 880 milles - dist.24h=111 milles. Ça-y-est, nous sommes dans la molle ! Nous sommes au moteur depuis hier après-midi dans un faible reste de vent de secteur E; légèrement appuyé sur la grand-voile et le moteur à bas régime pour ne pas trop user de GO, Alfred se maintient à 5 nœuds dans une mer bien calmée qui ne casse pas l'erre. Nous faisons route au 60° et nous rapprochons désormais de la Trinité. Cet épisode au moteur pourrait durer jusqu'à lundi, voire mardi, mais nous devrions avoir suffisamment de GO pour atteindre le moment où nous toucherons enfin le vent portant qui nous amènera 'grand patin' à la Trinité avec une arrivée possible dans la soirée de vendredi 14. »

L'heure de la sieste...

... et maintenant, au boulot.

Dimanche 9 juin : « Distance La Trinité 771 milles - dist.24h=119 milles. Alfred avance tranquillement cap à l'Est comme un de ces gros camions qui traverse le désert d'Australie, toujours tout droit, pied sur le champignon à vitesse régulière, le chauffeur n'a rien à faire qu'à écouter la musique de son moteur : pout-pout-pout-pout.... Il fait beau, la vie est belle car nous nous rapprochons de vous ! »

Edouard fait l'appoint de gasoil

Lundi 10 juin : « Distance La Trinité 638 milles - dist.23h=133 milles. Nous avons changé l'heure du bord ce matin et sommes désormais comme vous en TU+2. La brise semble se réveiller un petit peu ce qui permet de donner un peu de répit au moteur, mais ce n'est qu'une illusion car nous ne trouverons vraiment du vent que quand la dorsale anticyclonique dans laquelle nous sommes se sera résorbée pour laisser le passage à la dépression qui est en train de nous rejoindre – enfin !!!! - et qui nous propulsera jusqu'à l'arrivée... encore 24 heures de patience ! Nous sommes à équidistance de Terceira et La Trinité, mais en réalité nous avons parcouru les 3/5èmes du chemin total, 1470 milles au lieu de 1190 en route directe. Le vent revient depuis la fin de matinée et nous sommes de nouveau à la voile à 7 nds. Tout va bien. »


La toilette dans l'eau à 16°C

Mardi 11 juin : « Distance La Trinité 511 milles - dist.23h=127 milles. Nous bénéficions depuis cette nuit d'un flux modéré du Nord qui nous permet de maintenir une vitesse de 4-5 nœuds mais qui commence à mollir ; nous allons certainement entrer en début d'après-midi dans la molle de la dorsale qui s'étend vers la Bretagne et remettre le moteur pendant les 24 ou 36 prochaines heures (bonne bête, ce moteur !). Après, nous serons rattrapés par l'approche de la dépression qui nous amènera sur la Trinité à belle vitesse. Des spéculations sur notre HPA ? Nous espérons pouvoir arriver avant l'heure du dîner à KerBiren ; nous apportons l'apéro ! A très bientôt le bonheur de vous serrer dans les bras ! »

belle journée sous code zéro


Guillaume

Mercredi 12 juin : « Distance La Trinité 367 milles - dist.24h=134 milles. Après un long bord sous code zéro hier après-midi, nous avons sombré dans la pétole hier au moment du dîner et depuis nous avançons au moteur sur une mer d'huile. Les premiers signes annonciateurs de la dépression qui fond sur nous ont commencé à apparaître dans les nuages ce matin et nous voyons sur l'eau les premières rides de la brise qui vient. Le vent de SW devrait se renforcer dans l'après-midi pour devenir costaud cette nuit avec probablement un petit jour du 13 un peu rock'n'roll à 30-35 nœuds et des rafales à 40 au moment du passage du front. Après, plein vent arrière vers la Baie de Quiberon. Cela met un peu de piment à cette fin de traversée qui aura été un peu poussive... Mais Alfred est en pleine forme, prêt à affronter le match ! »

Coucher de soleil avant le coup de chien

les premières averse annoncent le passage du front!

Jeudi 13 juin : « Distance La Trinité 217 milles - dist.24h=162 milles. Nous sommes dans le baston depuis minuit la nuit dernière avec un vent très soutenu de SSW de 35 noeuds, au grand largue sous grand-voile à deux ris et trinquette. La mer est bien formée, grosse mais régulière et sans gros déferlement ; le pilote tient bien le choc mais décroche de temps en temps dans les rafales qui atteignent parfois 45 nœuds ce qui nous permet de rester la plupart du temps à l'intérieur qui reste sec. La trinquette nous donne un peu d'inquiétude car, elle est déchirée le long du nerf de chute et la bande anti UV part un peu "en distribil". Ce n'est pas grave mais j'espère seulement qu'elle restera entière le temps qu'arrive la bascule de vent à l'Ouest qui devrait nous apporter un vent plus modéré de 20 nœuds car je n'ai pas envie de remettre le génois même réduit avec le vent actuel... Cette bascule devrait arriver (enfin !) en début d'après-midi et nous permettre de faire un dernier bord plein vent arrière vers la Trinité en renvoyant de la toile. Tout va bien à bord, nous arrivons tout de même à nous reposer un peu malgré les secousses. Vivement un vrai lit ! Ceci est notre dernier message, demain ce sera au téléphone quand nous arriverons en portée de Belle-Île dans l'après-midi. Merci Emmanuel de la part de tout l'équipage pour ton routage. »

Le vent s’est un peu calmé mais reste bien soutenu dans la journée du 13 juin quand nous traversons le rail ; nous avons pu renvoyer la grand-voile et le génois réduit, rentrer la trinquette qui a été bien éprouvée et dont les lambeaux décorent le bas étai d’Alfred. Nous sommes au sud de la pointe de Penmarch dans la matinée du 14 et cravachons toute la journée dans la brise qui fraîchit à nouveau et arrivons à 11 heures du soir au ponton de la Trinité où nous attend un beau comité d’accueil : Béatrice et Jean-Luc heureux de retrouver leurs Philippine et Edouard, Marguerite et Jacques qui accueillent leur papa sous les ‘youyou’, et bien sût ma Catherine et son grand sourire. Tout ce petit monde retourne à bord le lendemain pour désarmer Alfred qui récupère enfin son corps-mort après 9 mois d’absence.

Arrivée à bon port: Philippine, Guillaume, Dominique, Edouard

Un beau comité d'accueil malgré l'heure tardive: Jean-Luc, Philippine, Béatrice,
Marguerite, Dominique, Jacques, Guillaume, Edouard. Catherine prend la photo.

Jacques déploie toute son énergie dans le désarmement d'Alfred.

Ce fut un périple magnifique de 11400 milles où Alfred, si ce n’est l’épisode du moteur, s’est magnifiquement comporté. Le gréement dormant et les voiles sont en bon état à part la trinquette qui va faire un petit tour chez le voilier, l’installation électrique montre quelques faiblesses dues à de mauvais contacts dans le tableau qui sera rapidement revu, quelques fuites de hublots seront étanchées rapidement et Alfred sera vite disponible pour emmener cet été nos enfants et petits-enfants explorer l’inépuisable et merveilleuse côte de Bretagne Sud.

Notre-Dame de Bon Port

Saint Nicolas, patron des marins.

Après Cuba en 2012-13, le Brésil en 2015-16, les Petites Antilles en 2016-17, la côte Ouest Africaine en 2022-23 et les Bahamas en 2023-24, Alfred achève la cinquième de ses pérégrinations atlantiques au cours desquelles nous avons accueilli à bord 131 équipiers différents, d’âges compris entre 3 et 77 ans, dont certains sont revenus 5 fois. Pour tous ces voyages et les liens d’amitié créés et entretenus à bord, nous remercions les deux saints patrons d’Alfred, Notre-Dame de Bon Port, patronne de notre paroisse de Nantes, et Saint Nicolas, patron des marins. Il eût été judicieux pour ce dernier voyage d’associer à nos protecteurs Saint Eloi pour veiller sur notre moteur…. Heureusement, Sainte Rita, toujours disponible et qui compte tant de généreux dévots parmi nos équipiers, est venue à notre secours quand nous avons eu besoin d’elle!


1 commentaire:

  1. Merci de me faire voyager. Bon retour sur le plancher des vaches. Gros bisous de saint Gildas de rhuys

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